* Deux générations de scientifiques qui ont quitté leur pays natal, l'Estonie des années 80 puis des années 2000, racontent leur histoire.
Le démantèlement de l’Union soviétique en 1991 et la fin des restrictions à la libre circulations des personnes avec la création de l'espace Schengen en 1995 a engendré une fuite des cerveaux de l4Est, particulièrement marquée en Estonie. Entre 1985 et 1993, ler nombre de scientifiques a chuté de 34,7 % selon une étude menée par le Centre for Study Democracy financé par la Commission européenne. 13,8% de ce pourcentage serait parti à l'étranger, aux Etats-Unis (20,9%), en Scandinavie (45%) et en Allemagne (12,8%).
Deux physiciens nous expliquent pourquoi ils ont quitté l’Estonie pour un autre pays européen l’un dans les années 80, l’autre au cours de la décennie suivante et nous racontent les épreuves qu’ils ont dû affronter pendant leurs voyages.
Sauver les cerveaux pour une époque meilleure
A la fin des années 80, le contraste entre le système scientifique soviétique obsolète de l’Estonie et l’organisation parfaite des universités techniques suédoises est très net.
Et c'est cette raison qui pousse Tõnu Pullerits, 44 ans et physicien, à quitter son pays natal pour poursuivre sa carrière en Suède. « Pour mes travaux, je devais beaucoup étudier. Je vivais à Tartu [la deuxième ville d’Estonie en taille], située à environ 200 kilomètres de Tallinn et je devais parcourir tous ces kilomètres si je voulais pour accéder à la presse », explique Pullerits.
Quant aux photocopies d’ouvrages scientifiques, il s’agit d’un défi encore plus difficile. « Il fallait demander une permission au directeur du département pour avoir une copie d’un article. Vous n’aviez pas le droit d’utiliser la photocopieuse vous-même. Il y avait une personne spécialement autorisée à l’utiliser et un quota mensuel de copies ridiculement faible. Pour couronner le tout, la salle de photocopies était fermée et scellée pendant les vacances », se souvient Pullerits.
Sa première visite en Suède remonte à 1989. Afin de « sauver » le scientifique soviétique d’un possible lavage de cerveau capitaliste, Tõnu Pullerits doit d'abord rencontrer un officier du KGB [la police secrète soviétique] juste avant son voyage. « J’ai été convoqué dans le bureau d’un jeune type que je n’avais jamais vu auparavant. Lorsque que nous nous sommes retrouvés seuls, il m’a informé que la Suède était un pays ami. Il n’y avait aucun problème concernant mon voyage mais je devais me souvenir qu’il y avait beaucoup d’Américains là-bas. J’ai quitté le bureau avec une consigne : si je remarquais quelque chose de suspect, on apprécierait que je fasse part de mes observations à mon retour en Estonie », explique Pullerits.
Sur le moment, il n’ose pas contredire l’officier et se contente d'exprimer quelques doutes quant à la probabilité de rencontrer quelqu’un de suspect. « Je n’ai pas immédiatement quitté le bureau parce que j’avais peur que l’on m’empêche de faire ce voyage. En y repensant mainenant, j’ai un peu honte de ne pas l’avoir fait », regrette le physicien. Ce fut sa seule expérience avec le KGB.
Avec sa femme et ses deux enfants en bas âge, Tõnu Pullerits, âgé de 29 ans, déménage en Suède en mai 1992 pour compléter ses études postdoctorales. « Au départ, nous ne comptions pas rester plus de deux ans. Mais mes recherches se passaient bien alors j’ai fait en sorte d’obtenir la bourse du Conseil de la recherches suédois. Soit quatre ans de plus », explique Tõnu.
« Ensuite, comme l’Estonie fraîchement indépendante avait des soucis autrement plus vitaux que la science, j’ai pensé que nous ne rentrerions vraiment que quand les choses redeviendraient ‘normales’ ». Aujourd’hui, Pullerits est professeur adjoint en physique chimie à l’Université de Lund, à l’extrême sud de la Suède. Mais il n’a pas exclu la possibilité de rentrer un jour en Estonie un jour.
De l’Estonie à l’Allemagne : une décision familiale
Marina Panfilova, 26 ans, est étudiante en doctorat de sciences physiques à l’Université de Paderborn à l’Ouest de l’Allemagne. Elle a quitté l’Estonie en 1999 à l’âge de 18 ans pour suivre ses parents, à l’époque où le gouvernement allemand avait octroyé aux juifs de l’ex-Union soviétique le droit d’émigrer en Allemagne. « J’avais décidé de vivre quelques années ici avec mes parents, d’apprendre la langue et de renter ensuite en Estonie et retrouver mes amis », se souvient Marina. « Mais après avoir voyagé en Allemagne et fréquenté quelques universités, j’ai finalement décidé de rester et d’y finir mes études de physiques. »
Son plus grand défi d’alors est de trouver un moyen d’emmener son chien. « Je n’avais pas de voiture. La seule solution pour voyager avec des animaux, c’était l’avion. Alors il m’a fallu obtenir un passeport pour mon chien, consulter des vétérinaires, acheter une cage, des somnifères et un billet plein tarif. Ca m’a couté une fortune, plus que ce que j’avais prévu. » Au final, personne ne contrôle les papiers de son chien à la frontière avec l’Allemagne.
Depuis, Marina a dû prendre à bras-le-corps ses études de physiques en allemand. « Je devais traduire un mot sur deux dans les exercices pour comprendre de quoi il s’agissait », explique-t-elle en évoquant ses premiers jours à l’Université de Paderborn. « Cela me prenait des heures. Dans les séminaires, il était évident que je ne saisissais pas véritablement le sens des choses. » Après avoir reçu une distinction brillante pour son Master, elle enchaîne depuis courageusement avec un doctorat puis obtient une bourse d’études départementale pour ses recherches.
Kadri Kukk - Tallinn - 20.3.2007 | Traduction : Julie Stroz
English
With the collapse of the Soviet Union in 1991 and the end of travel restrictions with it, Estonia suffered a brain-drain similar to other countries in the former Soviet block. A European Commission-funded study by Centre for the Study of Democracy from a decade ago lists that between 1985-1993, Estonia's science personnel shrinked to 34,6% during the transition years. 13,8% of this percentage moved abroad, with scientists heading to the US (20,9%), Scandinavia (45%) and Germany (12,8%). We talk to two scientists who moved from Estonia to the latter two European states in the nineties - what triggered their departures, and what challenges did they face along the way?
Tartu to Tallinn to Sweden : Saving brains for better times
Physicist Tõnu Pullerits, 44, cites one main reason for why he left post-Soviet Estonia to pursue his career in Europe in 1992. The opportunity to work in a well-organised Swedish technical university, which he first visited in the late eighties, was far more appealing than the clunky, former Soviet-ruled science system prevailing in Estonia.
'In my work I had to read a lot, but to access journals I had to travel to Tartu (Estonia's second largest city), which is some 200 kilometres to Tallinn,' says Pullerits. Getting permission to make copies of scientific material was an even bigger challenge in Soviet Estonia.
'You needed the go-ahead from the head of department first to be able to get a copy of an article. On top of that, you weren't allowed to use the photocopy machine yourself. There was a special person authorised for that, plus a ridiculously small monthly limit for copying. The photocopying room was also locked and sealed during the holidays,' remembers Pullerits, stretching his memory to conditions 20 years back.
When he first crossed the Baltic sea to visit Sweden in early 1989, the state took their precuations. In order to 'save' the 'Soviet scientist' from potential capitalist brainwash, Pullerits had to meet a KGB (Soviet secret police) officer ahead of the trip. 'I was invited to the office of a young guy I had never met before. When we were alone, he advised me that Sweden was a friendly country. There were no problems with my trip, but I had to remember how many Americans there were there. I left the office, being told that if I noticed anything suspicious, my getting in touch on my return to Estonia would be appreciated.'
Pullerits did not dare to argue with the officer. He merely expressed his doubts over the possibility of meeting anyone suspicious. 'I didn't walk out of that room back then because I was afraid that it would destroy my trip. Looking back, I am a bit ashamed of not doing that,' regrets the physicist, realising it was his only KGB experience.
Estonia celebrated independence on August 20, 1991, but Pullerits had already decided to leave. With his wife and two small kids in tow, the then 29-year-old Pullerits finally moved to Sweden in May 1992 to complete his post-doctoral studies. 'The plan was really not to stay longer than two years. But the research went well, so I managed to get the Swedish Research Council's grant. That added four more years,' reveals Pullerits. 'As the newly independent Estonia had more vital things to worry about than science, I really thought that we would just escape until things got back to 'normal' back home.' The scientist agrees that he is a typical example of East European brain-drain. Today he is an associate professor in chemical physics at Lund University in southernmost Sweden. Pullerits is optimistic about the future, and has not ruled out the possibility of returning to Estonia one day.
Estonia to Germany : family-triggered
Marina Panfilova is a 26-year-old PhD student in physics at Paderborn University in western Germany. She left Estonia in 1999, five years before it was to join the European Union and NATO.
She was only 18 when she decided to follow in her parents' footsteps. The German government had just granted ethnic Jews from the former Soviet Union the right to emigrate to Germany. 'I planned to live there with my parents for a while, learn the language, but then return to Estonia and to my friends, remembers Marina. 'But after travelling Germany and visiting a couple of its universities, I ended up staying and studying for my physics degree.'
Marina's greatest challenge, she claims, was finding a way of taking her dog with her. 'I didn't have my own car. The only alternative transport route for passengers with pets was via aeroplane. So I had to get a dog-passport, visit numerous veterinarians, buy a dog-cage, sleeping pills and a full-price flight-ticket for my pet. It cost me a great deal more than I was initially prepared to pay.' What is more, no one ended up checking her dog's documents at the border control in Germany.
However, Marina did have to grapple with studying physics in German. 'I had to translate every second word in the exercises to understand what was going on,' remembers Marina of her early days at Paderborn University. 'It took me hours. In seminars it was often apparent that I still hadn't grasped the true meaning of things.' But, after having received a distinction in her Masters, she is currently soldiering on with her PhD, and was lucky enough to get a departmental scholarship for her research.
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